mercredi 2 mars 2011

La leçon

Il est bien connu qu'aucun trip à ski ne se passe comme prévu, que toutes les conditions ne sont jamais réunies pour flirter avec ce qui pourrait s'apparenter à un rêve. Le notre de rêve, semble pourtant commencer dès que notre volatile d'acier pose ses roues sur le tarmac de l'aéroport de Tbilissi, Géorgie. Ce dernier, situé à à peine 600m d'altitude, a disparu sous une couche de neige on ne peut plus fraîche. Le forecast avait bien annoncé cette perturbation, suivie de plusieurs jours de beau temps... comment rêver mieux?
Embrumés dans la fatigue du voyage, nous gagnons péniblement Gudauri. La neige tombe à verse, l'épaisseur augmente au fil des virage. Bidzina, notre pilote, semble gagné du même mal que nous, et lutte pour maintenir le cap. Plutôt que d'écourter notre voyage, nous tentons d'engager une conversation. Après quelques phrases, nous commençons de comprendre que nous parlons à un grand nom de l'alpinisme. Ce monsieur, remplit de modestie, a simplement gravit deux fois l'Everest, six autres 8000 dont le Cho Oyu, et des tas de sommets à travers le globe. Sous ses airs de chauffeur de taxi, cet homme force le respect. Notre rêve continue donc, avec cette rencontre, riche en émotion, et qui nous prévient que là, nous venons d'entrer dans un territoire de montagnes, de grosses montagnes.

Après une courte nuit sur un sofa dans un coin de l'hôtel, un petit déj' local sur lequel nous nous sommes rués, et une rapide installation dans la piaule, nous décidons d'aller voir ce que donne le domaine. La fatigue du voyage se ressent, la visibilité est quasi nulle. Il neige. C'est parfait pour un décrassage en douceur, en attendant des jours meilleurs. Recherche ARVA en fin de journée, rencontre avec notre première katchapouri (galette au fromage locale), un repas vite avalé et au lit. 20h, il faut récupérer pour les jours à venir qui s'annoncent chargés.


Chargés en effet : de neige, de brouillard, de jour blanc et de pause casse croûte, plus là pour nous occuper qu'autre chose.





Il semble que notre rêve tourne au cauchemard. Les jours s'enchaînent et rien ne change. La visibilité est nulle. Nous n'avons pas même la chance de voir où nous nous trouvons, qui sont ces monstres granitiques qui nous entourent, ce qu'ils pourraient nous proposer s'ils daignaient nous offrir leurs pentes... Attente, frustration, ennui...




Dimanche, lundi, mardi. Le temps passe et toujours rien à se mettre sous la dent. Un minimum d'activité physique nous maintient en forme pour le jour où ça va percer. Le temps parait long.

Mercredi, enfin, lorsque nos yeux s'ouvrent, la lumière qui traverse le rideau semble plus intense que d'habitude. Ça y est, enfin. Le Grand Caucase nous dévoile ses charmes. Pentes longilignes, crêtes interminables, spines démesurées... Nous y sommes. Vite, le petit déj' est avalé. Aujourd'hui, casque et dorsale vont prendre l'air, enfin ! Devant le télésiège une demi heure avant son ouverture, nous n'en pouvons plus, trépignons d'impatience. Chaque pente nous interpelle, nous appelle, mais certaines semblent bien loin, inaccessibles même. Pis, on a déjà de quoi faire visiblement.

Les rotations s'enchaînent. Le rendement est optimal. Aucun arrêt en cours de descente. Tels des affamés, artistes de l'éphémère, nous traçons le Caucase à notre manière. Pas letempspour les photos ! La neige est d'une légèreté nouvelle pour nous. Très sèche, elle nous gratifie de runs fluides et rapides. Puis le temps se gâte. Une face, sur la droite du Mont Kudebi, qui nous attirait l'oeil depuis ce matin et dont nous avions fait l'objectif de la journée semble s'éloigner de plus en plus.

La visibilité se réduit. En espérant meilleur pour les heures à venir, nous descendons un peu plus bas. Objectif, une longue crête dominant le domaine. 30 minutes plus tard, nous sommes en haut du run, ayant eu la chance de tracer la montée.

Nous ne le savons pas encore, mais nous vivons le point culminant de notre trip au niveau ski. Une belle pente rectiligne d'un bon 400m de dénivelés. Tels deux gamins nous lâchons les freins et traçons jusqu'au bas de la pente (avec un stop dû à un joli requin pour moi, fait chier...). C'est bon ! Nous reprenons un ticket. A la montée, nous découvrons que notre projet de la journée tombe à l'eau. La face s'est délestée de son mètre de neige naturellement pour laisser apparaître la terre.

Gros avertissement pour les jours à venir. Avertissement dont nous n'aurons finalement pas besoin. Sitôt la journée finie, le ciel se bouche, le brouillard englobe les cimes et tout disparaît, sans que nous ne revoyons, de nos yeux, toutes ces immenses lignes qui nous appelaient.





Le bonheur fut éphémère. Et plutôt que de se faire du mal à tourner en rond en bas du télésiège en attendant le soleil, nous préférons mettre le cap sur la capitale, afin de profiter un peu du pays tout de même.





Certains parleront de beaucoup de kilomètres parcourus pour pas grand chose, d'autres d'argent gaspillé, de rêves infondés... Qu'importe. Malgré la déception, nous, nous gardons la conscience tranquille. La montagne, si l'on veut y évoluer en sécurité et en profiter pleinement, nécessite un grand concours de circonstances.


Cette année visiblement, où que nous soyons allés poser nos spatules, nous n'aurions pu en profiter comme nous en avions pris l'habitude lors des précédents hivers. C'est le jeu, nous en connaissions l'issue en cas de mauvaise pioche...
Nous l'acceptons. Toujours est il que ce voyage, comme tous ceux que nous avons réalisé jusqu'à présent, nous fera grandir :
Faut il privilégier ces spots de rêves lorsqu'ils sont dans des conditions idéales, à des spots plus modestes mais offrant diverses possibilités de replis, avec par exemple du ski en forêt ?
Faut il s'obstiner au rendement ou s'orienter sur un freeride plus rando, négligeant la quantité pour la qualité ?
Faut il remettre une pièce sur cette station portant les stigmates d'un pays déchiré par une guerre récente et isolée du monde ?

A toutes ces questions, nous avons eu le temps d'y réfléchir durant les 24 heures que nous avons passé, coincés à l'aéroport de Tbilissi. Des pistes se sont ouvertes... Les réponses l'hiver prochain.

 

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